Le sujet de notre rencontre d’écrivain était, ce janvier, « le cadeau empoisonné ». Je vous laisse découvrir le texte que j’ai rédigé, très inspiré d’une scène (presque) vécue. Pour une fois, pas d’imaginaire!
Je me souviens de ce Noël, quand j’étais toute petite. A l’époque, le jardin était couvert de neige. Nous y jouions des heures avec mes sœurs, avant de rentrer trempées, les joues roses et le souffle court.
Quand la neige recouvrait de son manteau immaculé le paysage, il y a une coutume que nous ne manquions sous aucun prétexte. Dresser le sapin de Noël. Papa le ramenait de la forêt, d’un beau vert profond, avec un port altier et des épines toutes douces. Nous le parions alors de milles décorations hétéroclites, toutes plus colorées les unes que les autres. Notre maison se transformait en un refuge de douceur et de joie au milieu de la monotone blancheur hivernale.
Nous comptions les jours avec hâte. Vingt-quatre, quelle corvée ! Et pourtant, au fond de moi, j’appréciais le lent chemin qui nous menait à Noël, me lovant tous les soirs sous la protection du sapin.
Lorsque le matin de Noël venait, aucun obstacle au monde n’aurait pu nous empêcher, mes sœurs et moi, de nous ruer sous notre arbre préféré. Nous y contemplions, émerveillées, les paquets entassés à son pied, miraculeusement apparus au cours de la nuit. Il y en avait des énormes, des modestes, des biscornus et des bien polis, des attendus et des surprenants. Toute la matinée, ce n’était que déballages fracassants, cris de joie et fous rires. Irina, le chien de la famille, dansait dans la jungle des papiers cadeaux déchirés et des rubans volants, tentant d’attraper le bruit invisible de leur froissement.
Chaque Noël, une fois que tous mes cadeaux et ceux de mes sœurs étaient ouverts, j’allais toujours plonger la main au creux de la botte en tissu qui portait mon nom. Maman en avait fabriqué une pour chacune d’entre nous : Pauline commençait tout juste à déchiffrer son prénom, inscrit sur la sienne. Chaque jour de l’avent, nous introduisions notre bras jusqu’au coude dans nos bottes, y découvrant une petite douceur, chocolat, clémentine ou pâte d’amande. Ma bouche salivait d’avance lorsque je sentais le molletonné du tissu glisser sur ma main, le bout de mes doigts chercher à l’aveugle la friandise, toucher le côté lisse d’un bonbon…
Ce matin-là, ma main pu à peine se glisser dans l’ouverture tant ce qui m’y attendais prenait toute la place. Je sortis de ma botte un père noël tout de chocolat vêtu, dont les joues rebondies me promettaient la meilleure des gourmandises. Ebahie par le détail de la sculpture, le brillant du glaçage et les couleurs des vêtements, je humais le parfum le plus délicieux que je n’avais jamais connu. Oh, ce chocolat-là, je savais que je ne l’avalerai pas d’une seule bouchée ! Pour la première fois de ma vie, je voulais faire durer le plaisir : j’en grignoterai délicatement un minuscule morceau, jour après jour.
L’heure d’aller visiter les nombreux sapins qui attendaient notre venue dans notre grande famille était venue. Répondant aux sollicitations pressantes de Maman, je posais délicatement mon père-noël sur le canapé, lui faisant promettre d’attendre gentiment mon retour, puis filait vers d’autres aventures bienheureuses.
Le soir même, lorsque nous rentrâmes de notre tour des repas gargantuesques et des jeux entre cousins à n’en plus finir, je constatai avec horreur que mon père-noël avait été la cible du crime le plus barbare. Ses restes gisaient sur le canapé, fragments de chocolats éparpillés. Je me jetais en hurlant sur un morceau de bonnet en chocolat fondu.
Le cri d’horreur de ma mère souffla mes lamentations. Je levais les yeux, apeurée. Le crime que ma gourmandise venait de vivre ne justifiait pas une telle épouvante.
Alors, je la vis.
La silhouette d’Irina gisant à terre sur le flanc, la langue tirée, reposant dans une mare odorante et répugnante de vomis où l’on distinguait nettement des éclats de chocolats.
Empoisonnée. Notre chienne venait de mourir de gourmandise.
Plus jamais je ne touchai un seul chocolat de ma vie.